L’adoption internationale par la France
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L’adoption, qui s’est popularisée en France au début des années 50, tend à devenir une procédure dont peu de famille peut bénéficier et demandant du temps. Pour cette raison (en partie), l’adoption nationale n’est plus totalement en mesure de satisfaire la demande des parents qui se tournent de plus en plus vers une adoption à l’échelle mondiale. L’internationalisation du phénomène, amorcée à la fin des années 70, a permis l’augmentation du nombre d’enfants adoptables afin de répondre à cette demande grandissante. De ce fait, les législations nationales et internationales sont de plus en plus précises et les pays sont de plus en plus nombreux à ouvrir leur porte à l’adoption.
Les débuts de l’adoption à l’étranger
Les premiers chiffres concernant l’adoption internationale en France, donnés par le Ministère des Affaires Étrangères, datent de 1979. Avant cette date, l’estimation des données restait difficile mais l’on peut penser qu’il y a eu une progression du phénomène depuis les années 70. Dès lors, plusieurs périodes peuvent être délimitées en fonction des pays d’origine.
De 1979 à 1986, la Corée du Sud demeure la destination privilégiée des Français. La guerre continue d’y laisser des traces en raison d’une économie atteinte. Le gouvernement cherche un moyen de résorber la situation, tout en essayant de gérer les conditions des orphelins d’après-guerre. L’adoption fait alors office de solution pour ces derniers. Ainsi, jusqu’en 1989, 6 714 Coréens seront adoptés par des couples français. En parallèle, l’Inde, en raison de ses relations historiques avec la France, et la Colombie (depuis la période de la Violencia) occuperont successivement les places de seconde et troisième destinations privilégiées jusqu’en 1984. Elles laisseront place au Brésil, qui connaîtra quelques problèmes de corruption, et au Sri Lanka, qui sera alors en pleine guerre civile, jusqu’en 1987 (le pays fermera ses portes suite à la découverte de trafics). La période sud-coréenne prendra fin un an après l’organisation des Jeux Olympiques de Séoul ; le pays souhaitant donner une meilleure image de lui sur la scène internationale. Une nouvelle période se dégagera, par la suite, avec la domination du Brésil de 1987 à 1993 avec 3 451 adoptions.
L’impact des crises politiques et sociales
Une première parenthèse s’ouvre cependant entre 1990 et 1991. La chute de Ceauşescu entraînera l’ouverture du pays à l’adoption, par le biais d’organismes humanitaires. La Roumanie apparaît subitement comme une destination envisagée par les Français, avec 999 adoptions réalisées. Mais la reconstitution du gouvernement roumain conduira à l’arrêt de ces flux dans le but de stabiliser la situation du pays.
L’année 1992 marquera l’apparition du Vietnam dans les pays de premiers rangs, conséquence directe de la guerre. Jusqu’en 1999, ce seront 7 445 enfants (dont 1 393 rien que pour l’année 1996) qui se trouveront adoptés par des Français. Ce sont surtout des affaires de corruption qui favorisent ces adoptions, avec des enfants dont on ne connaît pas, de façon certaine, ni l’âge, ni l’origine. Ce manque de transparence et l’amplitude du trafic entraîneront la suspension de la procédure en 1999. Les adoptions seront de nouveau effectives après la signature d’une convention bilatérale (novembre 2000). La Colombie et le Brésil, sortis en partie des différentes crises économiques et politiques, restent, pour cette période, les autres destinations privilégiées jusqu’en 1999.
La seconde parenthèse roumaine apparaît entre 1998 et 2000, avec 850 adoptions effectuées, par un pays touché, là aussi, par la pauvreté et subissant la transition vers une économie libérale. L’augmentation dans le pays du nombre d’adoptions est moins spectaculaire qu’au début des années 90, mais lui permet néanmoins de devenir la première destination pour les Français en 2000.
La diversification des pays d’origine
À partir de 2001, une nouvelle ère se dégage. Elle se caractérise par la variété des pays d’origine (Ethiopie, Russie, Colombie et Vietnam depuis 2003) proposant le plus d’adoptions, mais surtout par l’émergence d’Haïti, qui a permis 5 469 adoptions vers la France jusqu’en 2010. Chantal Collard [2005] évoque 3 facteurs principaux assurant ce rythme, à savoir la pauvreté, la surpopulation et l’épidémie du sida. On peut également ajouter à ces facteurs celui des catastrophes naturelles, comme par exemple le séisme du 12 janvier 2010 qui a précipité les adoptions vers la plupart des pays d’accueil, suscitant parfois quelques abus. La France a ainsi accueilli 992 haïtiens en 2010.
La baisse amorcée depuis 2011
Depuis 2011, une baisse significative du nombre d’adoptions internationales s’amorce. Le phénomène ne se limite pas à la France mais à l’échelle mondiale. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’une part, le cas particulier d’Haïti où la situation est gelée suite aux dérives de l’année 2010 (seulement 114 adoptions entre 2011 et 2013). D’autre part, la ratification des nouveaux pays membres (Vietnam, Kazakhstan) de la Convention de La Haye rend latentes les procédures en cours. Enfin les crises politiques en Afrique (Mali, Côte d’Ivoire) et les dérives en Asie (Népal, Cambodge) participent à cette diminution générale. On notera également que la volonté grandissante des pays d’origine de faire adopter leurs enfants par la procédure nationale tend à faire diminuer le nombre d’adoptions internationales. De la sorte, la France enregistrera seulement 1 343 adoptions internationales en 2013 contre 3508 en 2010.
L’adoption internationale s’est aujourd’hui largement démocratisée, au point de devancer l’adoption nationale. Cette évolution s’effectue en parallèle aux aléas politiques, sociaux, démographiques ou naturels que subissent les pays d’origine. Si certains de ces pays privilégient à présent l’adoption nationale, comme l’Inde ou le Brésil, d’autres demeurent préparés et organisés à l’adoption internationale, comme la Colombie ou le Vietnam. Ainsi, l’adoption internationale reste relativement évolutive et instable dans le temps. Etant sensible aux différents évènements, elle exprime de la sorte une « géographie variable » [Mattéi J.-M., 1995]. Néanmoins, les tendances françaises ne se calquent pas forcément sur les tendances internationales ou même européennes.
Bibliographie
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Collard C. (2005), « Triste terrain de jeu / À propos de l’adoption internationale », in Gradhiva, n° 1, Paris, Musée du quai Branly, 2005, pp. 209-223.
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Ner G. (2010), Géographie de l’adoption internationale / Analyse spatiale de la structure interne des réseaux de l’adoption en France, Mémoire de Master 1 de Géographie, Aix-en-Provence, Aix-Marseille Université, septembre 2010, 178 p.
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Ner G., Audard F. (2011), « Spatialisation de l’adoption internationale ne France : influences et régionalisations », in Les rencontres de Théoquant, 10ème éd., Besançon, Université de Franche-Comté, février 2011, 13 p.
Selman P. (2009), « The rise and fall of intercountry adoption in the 21st century », in International social work, vol. 52, n° 5, Thousand Oaks, SAGE, septembre 2009, pp. 575-594.