L’étude des conflits, le cas d’Alep
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Au cœur des problématiques territoriales, la cartographie se transforme en véritable outil pour la compréhension et l’analyse des conflits.
La cartographie dans les études de politiques internationales
Au sein du réseau Noria Research, et notamment dans le cadre du conflit syrien, des chercheurs français présents sur le terrain réalisent régulièrement des cartographies. L’outil cartographique s’intègre dans l’approche de ce réseau de chercheurs et d’analystes, lequel a pour but de promouvoir une nouvelle génération de spécialistes en relations internationales en répondant à une triple exigence : « l’indépendance intellectuelle, la rigueur scientifique et la connaissance du terrain et des langues » [Baczko A., Dorronsoro G., Quesnay A., 2013].
En étant sur le terrain et en intégrant les différents groupes de civils et de combattants, il est alors possible d’étudier « de l’intérieur » le conflit et notamment l’organisation des différents groupes sociaux ou communautaires. Dans le cadre d’une situation territoriale complexe, la carte, de façon concrète et synthétique, permet non seulement de localiser les différents éléments observés sur le terrain mais aussi de représenter les interactions ou ruptures et de mettre en relation ces phénomènes avec les composantes territoriales (réseau routier, hydrographie, etc.).
En effet, les enjeux dans un conflit sont multiples et connaître davantage son territoire et les éléments qui le composent permet d’ajuster au mieux sa stratégie. Dans un milieu urbain comme Alep, le positionnement des infrastructures constitue un enjeu à la fois stratégique et politique (connaissances de la ligne de front, des différents accès, routes, aéroports, etc.) mais également de l’évolution de l’implantation institutionnelle de l’insurrection (bâtiments publics, zones militaires, palais de justice, etc.).
Travail croisé entre la réalité du terrain et la superposition des couches géographiques
En réalisant les cartes de la situation à Alep en septembre 2013 les chercheurs de Noria ont représenté les limites des zones contrôlées par le régime et celles par les rebelles. Ils ont également, pour mieux comprendre les dynamiques sociales et territoriales de ce conflit, intégré des éléments structurels importants tels que les quartiers généraux ou les institutions des forces gouvernementales et de l’opposition.
En prenant connaissance de l’importance des éléments géographiques d’un territoire, et ce notamment en situation de conflit, nous avons voulu apporter à cette carte nos compétences cartographiques reposant sur notre connaissance de la sémiologie graphique et des bases de données géographiques.
Ici, l’utilisation d’un réseau routier principal et secondaire, contribue à valoriser la carte, d’une part, en apportant de la précision dans les zonages et la localisation des éléments et, d’autre part, en donnant une idée de la structure urbaine (zones d’accès, périmètre du centre-ville, zones périphériques, etc.). De prime abord, cette géographie des rues ne semble pas essentielle mais, dans ce contexte de conflit, cette information est primordiale. Typiquement, des zones de centre-ville, avec des petites rues et un bâti dense, seront plus compliquées à contrôler pour l’armée que de vastes espaces pouvant encercler la foule et laissant la place pour les machines de guerre. On comprend ainsi comment la révolution a principalement débutée dans des quartiers populaires, difficiles d’accès pour la police et moins contrôlés. Les quartiers riches de l’ouest de la ville sont restés plus calmes ; leurs populations ont pris l’habitude de se déplacer dans les quartiers populaires pour manifester ou fuir le régime.
L’enrichissement de cette carte par la superposition des couches géographiques permet d’avoir une lecture plus précise du territoire et de ses dynamiques. La situation évoluant rapidement, cette cartographie constitue également pour les chercheurs une base de travail précise pouvant facilement être modifiée et complétée. Par exemple, à Alep, un des enjeux primordial est l’approvisionnement en eau de la ville. Dans l’organisation du rétablissement des services publics et notamment du fonctionnement et de la répartition des châteaux d’eau, une cartographie plus détaillée pourrait donc être un outil pour l’administration municipale dans sa réorganisation et sa stratégie de redémarrage des services publics.
Bibliographie :
www.noria-research.com : plateforme du réseau de chercheurs et analystes Noria, travaillant sur des problématiques liées aux conflits, au crime organisé et à la politique étrangère des puissances dites émergentes.
Baczko A., Dorronsoro G., Quesnay A. (2013), «L’administration civile de l’insurrection à Alep», in Noria Research, Paris, Noria, octobre 2013, 8 p. (http://www.noria-research.com/ladministration-civile-de-linsurrection-a-alep)