La géographie de Pythéas
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La civilisation grecque fut, dans l’antiquité, l’une des premières à l’origine du développement intellectuel, des avancées scientifiques et du progrès sociétal. Elle compte dans ses rangs des étoiles nommées Platon, Aristote, Thalès, Socrate, Pythagore, et une pluie de tant d’autres, sans oublier Strabon, gratifié du titre de premier géographe. Parmi eux, peut-être, Pythéas, astro-mathématicien et navigateur. Ses explorations scientifiques laissent une trace historique mais, pour autant, font-elles de lui un géographe ?
Le voyage de Pythéas
On ne connaît presque rien du personnage, si ce n’est à travers 28 fragments laissés par différents auteurs, dont 13 pour le seul Strabon. Néanmoins, Fernand Lallemand [1974] s’efforce de nous donner quelques indications.
Pythéas est un massaliote, né en -380. Il fut l’élève d’Eudoxe de Cnide, mathématicien, auteur du premier modèle géocentrique du système céleste, lui-même élève de Platon. Il lui enseigne les méthodes de calcul de mesure de la hauteur astrale. Astronome et mathématicien avéré, Pythéas sut se lier aux gens de la mer, qui lui accordèrent une certaine crédibilité par sa science. Il navigue en Méditerranée mais cela ne semble plus lui suffire. Sa curiosité de découvrir l’Océan et de mieux faire que les Carthaginois, et le besoin commercial de Massalia s’accordent pour qu’une exploration en Europe du Nord ait lieu.
Pythéas part de Massalia (Marseille) à bord de son bateau, l’Artémis, jusqu’aux portes de l’Océan Atlantique, formées par les colonnes d’Héraclès, au détroit de Gibraltar, en faisant escale à Ampurias (en Catalogne). Certains affirment qu’il eut pu partir de Gadès (Cadix) ou depuis la Gironde à Burdigala (Bordeaux) pour un gain de temps [Cunliffe B., 2003]. Il atteint le Golfe de Gascoigne en 3 jours.
Puis, Pythéas file vers la route de l’étain qui s’étend de Cornouailles jusqu’à Ierne (Irlande). Arrivé aux Orcades (en Ecosse), son voyage va prendre une dimension historique. Il part en direction du Nord, pendant 6 jours de navigation depuis la Grande-Bretagne, où il atteindra la limite extrême, l’Ultima Thulé. Pythéas y observe un soleil qui ne s’y couche jamais, que l’on ne peut voir qu’à partir des cercles polaires. Néanmoins, la question de la localisation de Thulé reste encore un mystère. L’affirmation la plus probable serait qu’il s’agissait sans doute de l’Islande mais d’autres hypothèses (Norvège, Îles Shetland, Îles Féroé, Groenland…) subsistent.
Thulé atteint, Pythéas redescend vers le Sud. Son voyage retour est plus controversé car il n’existe pas d’écrits suffisamment précis. A la recherche d’ambre, il s’est probablement dirigé vers l’Est, afin d’explorer la mer baltique. D’autres hypothèses laissent supposer qu’il effectue un voyage retour le long de la côte atlantique ou qu’il put également revenir par l’intérieur des terres.
Les calculs de latitude et d’obliquité
Massalia fut la première ville au monde dont on eut précisément connaissance de sa position géographique. Pythéas utilisa un énorme gnomon (une sorte de cadran solaire) dont il connaissait la longueur et observa l’ombre à midi les jours d’équinoxe. Par ce système, il put déterminer l’obliquité de l’écliptique et en déduire la latitude de Massalia [Aoust B., 1866]. Ces mesures furent vraisemblablement effectuées au temple d’Artémis, probable emplacement actuel de la cathédrale de la Major.
Concernant l’obliquité de l’écliptique, Pythéas la détermina en mesurant l’ombre portée du soleil cette fois-ci le jour du solstice d’été et non plus le jour de l’équinoxe [Lelewel J., 1836 ; Georgelin Y., 1994]. La différence d’angle trouvée pour la hauteur du soleil au méridien entre ces deux jours est de 23°56’. Pierre Gassendi, en 1636, refit la même mesure que Pythéas, à Marseille. Il mesura 23°28’, confirmant la très lente diminution de l’angle durant les siècles. Ératosthène et Hipparque conclurent quant-à eux, que Marseille depuis l’Equateur était au Nord à 43°3’38’’. Ils vérifiaient et fixaient l’obliquité de l’écliptique à 23°51’15’’, hypothèse validée par le Journal des Savants en 1818. Le résultat de Pythéas est donc très satisfaisant puisque l’obliquité réelle devait être, à l’époque, de 23°46’.
Le phénomène des marées
Si, bien sûr, on connaissait les marées à l’époque d’Homère. Pythéas fut le premier qui sut les expliquer. Il a pu établir le rapport existant entre l’amplitude des marées de la côte atlantique et les révolutions de la lune. Avec l’aide des populations indigènes, il sut assimiler ces phénomènes cycliques d’attraction lunaires grâce à ses talents de mathématicien et d’astronome.
Contraint à rester à quai en hiver où il ne peut naviguer, il va employer cette phase de repos pour observer la marée sur des cycles longs [Journès H., Georgelin Y., Gassend J.-M., 2000]. Pythéas va comprendre ce phénomène en le découpant en trois temps. Le premier soir, Pythéas enregistre la position des étoiles et de la lune au moment de la haute mer. Le second, à la même heure, les étoiles sont à la même place que la veille, la lune prit du retard mais la mer n’a pas fini de monter. Le même soir, 50 minutes plus tard, la lune a retrouvé sa place de la veille dans le ciel, et la mer sa hauteur initiale. Pythéas comprend donc qu’il faut 24 heures et 50 minutes pour que la lune et les marées effectuent leurs cycles complets. Il note aussi qu’il y a des différences de marées entre l’Ibérie et l’Armorique qu’il ne sut expliquer à l’époque et que l’on peut aujourd’hui dire qu’elle résulte de l’attraction du soleil, jouant un rôle mineur.
À l’image des découvertes sur Thulé ou sur ces calculs de latitude, les grecs parlent d’absurdité quant à l’explication du phénomène des marées. On lui dit alors qu’il n’est pas possible que la mer monte et descende autant et que cette différence est due aux rivières. Il passe donc, à l’époque, pour un menteur. Il faudra attendre Newton pour que le grand public soit d’accord.
Le prélude de l’anthropologie
En plus d’être un scientifique ingénieux, Pythéas s’intéresse également aux peuples qu’il côtoie tout au long de son périple, à leurs us et coutumes. Il profite des périodes d’hivernage forcé de son bateau pour rester à terre et en profite pour s’immiscer au plus près des populations locales. On sait donc que Pythéas va passer, entre autres, un certain temps auprès des Celtes. Dès son arrivée dans une nouvelle contrée, le navigateur a toujours un présent à offrir afin de bien se faire accepter, généralement du vin marseillais. Mais le plus important à noter est que Pythéas est le premier à se dégager des grandes routes commerciales et va donc aller loin dans l’intérieur des terres pour découvrir des nouveaux peuples. Il va également se diriger vers le Nord y découvrir des territoires que l’on savait localisés mais que l’on avait jamais visités.
A notre échelle, on peut ajouter que Pythéas est considéré par beaucoup aujourd’hui comme celui qui a enrichi notre géographie de noms de peuples et de lieux qu’il nous révèle. A l’époque de Pythéas, Massalia existe depuis 3 siècles et Lutèce est encore inconnue. Pythéas va découvrir la péninsule armoricaine avec ce qu’il va appeler les Ostimioi, qui étymologiquement signifie les plus éloignés. Ainsi comme le dit Camille Jullian : « Ces trois noms Ostimioi, Kabaion (pointe de Penmarc’h et Uxisama, l’Île d’Ouessant) sont les premiers noms géographiques qui apparaissent dans notre histoire nationale, près de 3 siècles après ceux de Massalia et de sa région immédiate ». On peut donc affirmer que Pythéas va être un précurseur de la découverte et l’étude des peuples.
Finalement, peut-on considérer que Pythéas a pratiqué la géographie ? Difficile de répondre selon la notion que l’on se fait de cette pratique. Indéniablement, il s’en approche. On regrettera seulement que son œuvre, qui l’érige au rang mérité de proto-géographe, ne soit pas considéré à sa juste valeur et ne soit pas rehaussée dans les mœurs. On retiendra la considération du monde anglo-saxon, traduit par cet hommage fait par Wiston Churchill concluant que « Pythéas de Marseille est assurément l’un des plus grands explorateurs que l’histoire ait connus. […] Mais Pythéas fut traité en conteur de mensonges, et ce n’est que longtemps après la disparition du monde où avait vécu ce grand pilote qu’on se prit d’admiration pour les découvertes qu’il y avait faites ».
Bibliographie
Aoust B. (1866), Etude sur Pythéas, Marseille, Barlatier-Feissat, 1866, 10 p.
Cunliffe B. (2003), Pythéas le Grec découvre l’Europe du Nord, IVème siècle av. J.-C., Conclé-sur-Noireau, Autrement, 2003, 176 p.
Georgelin Y. (1994), Marseille à la conquête du ciel / L’astronomie à Marseille et en Provence de Pythéas à Charles Fabry, Marseille, Ville de Marseille, 1994, 86 p.
Journès H., Georgelin Y., Gassend J.-M. (2000), Pythéas, Gémenos, Les editions de la Nerthe, 2000, 154 p.
Lallemand F. (1974), Journal de bord de Pythéas de Marseille, Montrouge, France-Empire, 1974, 264 p.
Lelewel J. (1836), Pythéas de Marseille et la géographie de son temps, Paris, L’Editeur, 1836, 74 p.